Vendredi 15 Février

Sur le chemin du retour, contrariée, je n’ai pas décroché un mot et je pense qu’Andrea l’a assez senti pour ne pas me parler, assise sur la banquette arrière Orlane a fini par s’endormir. Je n’aime pas gronder Orlane, c’est ma toute petite fille, la prunelle de mes yeux et la seule enfant que j’aurais de toute ma vie… ça m’a brisé le cœur de la voir sangloter encore et encore. 

Nous voilà devant la maison, les bras musclés d’Andrea s’empare du petit corps de ma fille toujours endormie, je me presse pour lui ouvrir la porte. Il dépose Orlane dans son lit et je la borde doucement avant d’embrasser son front. Lui descend pendant que moi, je la regarde dormir l’espace d’un instant avant de fermer sa chambre et de le rejoindre.

- Je m’en veux de la tournure qu’a prise cette fin de soirée…

- C’est vrai que ce n’était pas grave, mais…

- Vous n’avez pas d’enfants, vous ne pouvez pas savoir ! 

Il reste silencieux un moment, son regard est braqué sur moi, mais ce n’est pas moi qu’il regarde, il est… perdu dans le vide.

- Je comprends totalement la réaction que vous avez eue, si c’était ma fille… 

Ses mots meurent sur ses lèvres, il ne finit pas sa phrase et regarde de nouveau ailleurs.

- Andrea, vous allez bien ?

- Oui, désolé, la soirée était agréable tout de même ! J’espère que vous avez apprécié aussi !

- Oui !

Ce timide “oui” sort doucement de ma bouche, il me souhaite une bonne nuit et quitte la maison. Je m’apprête à aller me coucher quand des coups sont frappés doucement sur la porte. Je fais demi-tour et ouvre de nouveau. 

- Per l’amor di Dio, n’ouvrez plus votre porte sans savoir qui est derrière !

- Vous veniez de partir, je n’ai pas réfléchi ! 

- Alors faîtes-le la prochaine fois ! 

- Oui ! Vous avez oublié quelque chose ?

- Je ne peux pas partir comme ça…

Andrea referme la porte derrière lui et s’empare de mon visage. Sa bouche écrase la mienne avec puissance et bienveillance. Sa main chaude et rassurante ranime en moi un désir bien trop longtemps enfoui. Je le laisse m’embrasser profondément, je suis presque sûre d’avoir gémi, mais lorsqu’il devient plus proche de moi, je n’y peux rien, je me braque. 

- Andrea, je ne peux pas…

Il pose sur moi ce regard noir, celui que je n’ai pas vu depuis longtemps, un regard qui m’effraie.

- Si je dois seulement t’embrasser toute la nuit, je le ferai.

- Alors pourquoi me regardes-tu avec ces yeux accusateurs ?

- Que t'a-t-il fait gattina ? 

- De quoi ?

- Ryan, que t'a-t-il fait ? 

- Rien… 

- Tu es terrorisée à l’idée même de coucher avec un homme, ne me dit pas qu’il n’a rien fait. 

Fatiguée de tout, je m'effondre en me prenant cette réflexion en plein visage. Andrea a tellement raison, je suis terrorisée. 

- Lexie, per favore, non piangere…

Ses grands bras m’emprisonnent contre lui, je respire son parfum comme s’il pouvait recharger mes batteries bien épuisées. 

- Dimelo gattina ! 

- À part me tromper, m’humilier devant les gens que j’aime… 

- Il t’a frappé ?

Je secoue la tête pour un non.

- Il a... Santo cielo, il a profité de toi ?

Pour réponse, je lève les épaules et détourne la tête. Andrea est dans une colère noire, si le regard qu’il avait tout à l’heure m’effrayait, celui-là me pétrifie. Il commence à faire les cent pas en parlant italien à une vitesse affolante, si bien que je ne comprends rien. Je l’empêche de bouger.

- Andrea, ce n’est pas… enfin, c’est… 

Je bafouille, mais je finis par lui révéler que les deux dernières fois où Ryan m’a touché cela ne s’est pas passé de la meilleure des façons. Il ne perd pas ce sombre regard une fois mes explications finies.

- Ne sois pas en colère, tu me fais peur quand tu es comme ça…

Il se radoucit à peine ma phrase finie et caresse doucement ma joue encore mouillée.

- Je ne pourrais jamais te faire de mal gattina ! 

Pourquoi je me sens si bien quand il est dans les parages ? Je veux vraiment lui faire confiance, mais mon corps refuse d’écouter ma tête. Sa main glisse de ma joue à ma nuque, il approche son visage, son front se colle au mien, son souffle embrase ma peau.

- Je ne pourrais jamais te faire une place dans ma vie, Andrea, et je ne peux pas priver Orlane de quelqu’un comme toi… 

- J’attendrais que tu sois prête… mia rosa ! 

- Tu vas perdre ton temps pour rien… 

- Si c’est pour toi, alors non… 

Doucement, sa bouche écrase la mienne puis le froid remplace sa présence chaude. Il me recommande une nouvelle fois de ne pas ouvrir à n’importe qui, et me souhaite une bonne nuit. 

Mercredi 6 Mars

Depuis trois semaines, je me sens constamment épiée, mal à l’aise, et ça encore plus que d’habitude. Comme si une ombre noire planait au-dessus de moi. Peut-être suis-je complètement paranoïaque, mais je ne cesse de regarder par-dessus mon épaule. J’ai rendez-vous ce soir-là à la banque de Ryan. Inutile de dire à quel point je suis angoissée de me retrouver là-bas, sachant que son office a très certainement servi à leurs vils passe-temps, mais je dois être présente pour fermer mon compte. Hors de question que lui ou sa secrétaire puisse encore avoir accès à ceci. 

Je souffle avant d’entrer. Olivia est à son bureau, quand elle croise mon regard, je me dis que je n’y arriverais pas. 

- Bonjour Lexie ! Vous avez besoin de quelque chose ?

- Bonjour mademoiselle Watkins, ici, je suis Madame Foster. J’ai rendez-vous avec Ryan, mais vous devez bien savoir qu’il aime avoir des petits secrets, n’est-ce pas ?

Je lui cloue le bec et elle n’ose pas me répondre, mon ex compagnon ouvre et nous retrouve en train de nous lancer des regards stricts, tant mieux parce que j’étais à deux doigts de l’égorger.

- Lexie, tu es déjà là ! Parfait, viens !

Je pose les yeux dans chaque coin de son bureau et je ne peux m’empêcher de les imaginer ici tous les deux… c’est répugnant.

- Tiens voici des documents à signer.

- Tu l’as baisé ici ?

- Lexie, je t’en prie… ne remets pas ça sur le tapis. 

Je préfère essayer d’oublier tout ça, je m’empare du stylo et signe sa foutue paperasse. Je quitte cet endroit maudit, la tête haute, confiante… enfin c'est ce que je veux qu’on pense car une fois en voiture je me décompose. Je décide de passer voir Juliet. Son café n’est pas ouvert alors je monte directement chez elle. 

- Salut toi !

- Salut !

- Oh, c’est quoi cette petite moue des mauvais jours ?

- Je viens de passer à la banque, j’ai fermé mon compte.

- Oula… et ?

- Et alors j’ai vu Miss pute à frange, sans frange avec son sourire niais et ses “Bonjour Lexie”, comme si j’étais sa pote, et l’autre idiot avec son air très sérieux qui s’est comporté comme si lui et moi n’avions jamais rien partagé ensemble.

- Ma belle ! Dur moment, mais dis-toi que tu n’es pas obligé de les voir, ensemble du moins ! Et puis t’as toujours ton bel Italien, ça avance ? 

- Oh, s’il te plaît, Juliet, laisse-le en-dehors de ça, je t’ai dit que je n’avais envie de rien.

- Bon alors, je te sers un verre ?

- Pas d’alcool, je dois rentrer après !

Je m’installe à sa petite table et bois le jus de fruit qu’elle m’apporte, nous continuons à discuter comme nous le faisons souvent.

- C’est quoi ce bruit bizarre ?

- Probablement un de tes sextoys !

- Ah non chérie, j’enlève toujours les piles ! 

- Idiote !! C’est mon portable qui vibre dans mon sac. C’est Ryan.

- Qu’est-ce qu’il veut encore ce naze ?

Je hausse les épaules, j’hésite à répondre et l’appel se finit. Je respire de nouveau, mais lorsque son nom apparaît de nouveau à l’écran, je respire un coup avant de répondre.

- Oui, Ryan, qu’est-ce qu’il y a ?

- Où es-tu, Lexie ?

- Qu’est-ce que ça peut te faire ?

- Ce n’est pas un jeu, rejoins-moi à l'hôpital.

- Pourquoi faire ? Ce n’est plus mon problème ce qu’il t’arrive.

- Lexie ne discute pas, c’est Orlane.

Le sol se dérobe sous mes pieds, mes entrailles se tordent de douleur, mon cœur se crispe, je lâche le téléphone, Juliet me rejoint, elle s’empare de mon portable.

- Ryan, c’est Juliet, qu’est-ce qu’il y a ? [...] D’accord. [...] Je vais conduire Lexie, elle n’est pas en état là. [...] À tout de suite.

Ma meilleure amie m’attrape par les épaules et me secoue un bon coup.

- Je vais conduire, mais ne sombre pas, je sais qu’Orlane est tout ce que tu as, mais tu dois rester forte.

Je sais pertinemment qu’elle a raison, mais la peur s’est emparée de moi. Juliet me pousse hors de chez elle et elle conduit aussi vite qu’elle le peut. Ryan est là… ainsi qu’Olivia, mais je n’ai pas le temps de m’arrêter sur mes sentiments, ma fille étant ma seule priorité.

- Ah, vous êtes enfin là ! 

- Où est-elle ? Que s’est-il passé ?

- Je ne sais pas Lexie, ils n’ont encore rien dit.

- Elle était avec Andrea, où est-il ?

- Je n’en sais rien. Je suis dans le flou comme toi.

Mon portable dans la main, je clique sur son contact, la sonnerie retentit, pas de réponse, alors je recommence, toujours rien. Mais bon sang où êtes-vous monsieur Moretti ?